Les paradoxes d'une approche individuelle
Nul ne peut
contester aujourd’hui qu’un usager de l’accompagnement médico-social ne puisse
être au centre de cet accompagnement, qui le concerne au premier chef : le
texte sociétal, le discours politique et les pratiques professionnelles sont
basées sur cette évidence (qui n’a pas toujours été une évidence).
L’investissement de la personne dans l’élaboration de son projet, sa
responsabilisation, son autodétermination, les dispositifs pour faire valoir
les droits individuels, les offres de choix, les organisations de dispositifs,
ont tous pour référence de mettre l’usager et son projet au centre de l’action
et de l’accompagnement. Cette référence fait rupture avec les anciennes
références, où les usagers étaient soumis unilatéralement aux projets, aux
missions, aux dispositifs, à l’expertise des professionnels, aux pratiques
pensées par l’établissement spécialisé, « pour leur bien ».
Se dessine donc
bien aujourd’hui une philosophie de l’accompagnement individualisé,
personnalisé, adapté à la personne dans son unicité. Mais on peut se poser la
question de savoir si cette philosophie ne contient pas en elle-même un
paradoxe. En effet, si l’on observe l’évolution des conceptions du handicap et
des situation de vie des personnes handicapées, on voit clairement que l’on est
passé d’une approche individuelle et biomédicale à une approche sociale et
écosystémique. Approche individuelle et biomédicale : le handicap ou les
situations de handicap sont attribuées aux caractéristiques individuelles de la
personne, en particulier à ses caractéristiques déficitaires et incapacitaires.
Dans cette hypothèse, il y a lieu de réhabiliter les corps et les aptitudes de
la personne, pour les rendre moins handicapées et plus conformes aux normes. Approche
sociale et écosystémique : les situations de handicap sont produites dans
et par l’interaction entre les caractéristiques personnelles et les
caractéristiques des environnements, et c’est l’environnement ou le non accès
aux droits qui empêchent la réalisation de certaines habitudes de vie, et qui
produisent des situations de handicap vécues par les personnes. Cette dernière
approche engage à des actions sur l’environnement, au sens large, pour le
rendre plus « accessible ».
Le paradoxe de
l’individualisation des réponses, des projets des personnes, c’est d’ancrer les
nouvelles problématiques dans l’ancien paradigme de l’approche individuelle et
inévitablement et tendanciellement biomédicale. Le risque est de mettre la
focale sur les besoins, conçus comme écarts par rapport à une norme socialement
instituée (c’est la proposition de SERAFIN-PH) en oblitérant les changements
structurels nécessaire des conditions de vie et de l’environnement immédiat ou
moins immédiat, sans lesquels les personnes seront toujours devant le plafond
de verre de leur exclusion.
Si le centrage sur
l’usager consiste à améliorer le performances mnésiques ou comportementales
(nomenclature des besoins) pour aller à l’école, sans vouloir que le système
éducatif change, cela ne peut déboucher que sur des impasses, comme ce fut le
cas depuis toujours dans l’accompagnement des personnes handicapées. Si le
centrage sur l’usager consiste à ce que les travailleurs handicapés travaillent
mieux et plus vite pour s’adapter aux conditions de plus en plus exigeantes des
entreprises, qu’elles maitrisent les compétences professionnelles exigibles, l’exclusion
dans le travail a de beaux jours devant elle. L’autodétermination, la
participation sociale, la qualité de vie ou l’inclusion, envisagées d’un point
de vue de la responsabilité individuelle, sans engagement d’un changement
sociétal des conditions de vie, s’inscrivent naturellement dans les
perspectives du développement personnel, si dans l’air du temps des réponses
« philosophiques » d’un modèle sociétal néolibéral, qui ne veut
surtout rien changer dans l’ordre des choses.


