Le client est-il toujours roi ?
Il y a parfois un amalgame ou une synonymie qui sont établis entre le fait de mettre la personne au centre des dispositifs d’accompagnement, et le fait d’être positionné comme client. Etre client, c’est, de ce point de vue, imposer au vendeur ou au prestataire des exigences propres à le satisfaire en tant que consommateur. C’est oublier un peu vite qu’être client, c’est aussi permettre au producteur de services ou de matériel, de vivre de ce type de transactions, ou mieux d’en tirer des profits. En réalité être client est un « argument », et « être au centre » c’est secondairement être au centre des préoccupations du prestataire. C’est plutôt être l’objet ou le moyen de faire fonctionner un service, une entreprise, un dispositif, un marché en somme au profit du fournisseur, et de fait accessoirement au profit du client. Il s’agit d’une préoccupation marchande, dont le client peut tirer parfois, et même souvent, bénéfice s’il n’est pas dans la surconsommation à laquelle l’incite le marché, ou s’il n’est pas le simple et principal moyen d’augmenter le chiffre d’affaires et/ou les profits.
Le client est
censé être roi. C’est à ce titre que les prosélytes du marché et du
positionnement client veulent qualifier les bénéficiaires d’une prestation,
garantie qu’il sera ainsi le centre de la transaction. Mais la transaction ne
se fait pas fondamentalement au bénéfice du client, elle est d’abord et
essentiellement au service du producteur ou du prestataire. Le centrage sur la
personne n’est qu’un argument de vente. Là où le client est censé être roi, en
rupture avec les anciennes pratiques institutionnelles, c’est dans les services
ou dispositifs privés lucratifs. Ceux-ci
affichent tous effectivement cette priorité, avec à l’appui de
magnifiques chartes, des principes hautement éthiques et souvent des
labellisations expertes de la qualité. Mais dans ces configurations, les
personnes clientes sont peut-être les rois, mais surtout des « vaches à lait ».
Et c’est bien parce qu’il y a une possibilité d’exploitation des « vaches
à lait » que des entreprises privées se sont intéressées et s’intéressent,
et ont investi, en promouvant leurs actions comme étant au service des clients,
dans le secteur des personnes âgées, de la petite enfance et bientôt du
handicap et de l’action sociale.
Des enquêtes
récentes ont montré comment ces vitrines cachaient de sordides marchés : Victor
Castenet avec Les fossoyeurs (sur les EHPAD) et Les Ogres (sur
les crèches privées), Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse avec Le prix du
berceau (sur les crèches privées), ou encore Thibault Petit avec Le prix
du handicap (sur les ESAT). Le marché et ses clients, qui ont régné et
règnent sur le monde, n’ont jamais fait la preuve qu’ils empêchaient les
injustices, les inégalités, les dominations, les exclusions, les réductions de
droits et l’exploitation de l’humain. Preuve s’il en est que le « centrage
sur la personne » est dans cette configuration une vaste fumisterie, une
vitrine au service d’une autre finalité. Il y a mensonge et abus de langage
expert à affirmer, comme le font des responsables, des politiques, des experts
(« il faut oser le terme client dans le médico-social »
affirment-ils), que l’adhésion à la notion de clientèle est la condition
nécessaire et incontournable des postures centrée sur l’usager. Tout au
contraire.
Mais alors au nom
de quoi affirmer quand même que la préoccupation et la posture d’accompagnement
centrées sur l’usager ont de la valeur. Peut-être au nom d’une posture éthique
et politique, et non au nom du marché. Cette posture éthique et politique qui
prend comme mesure de la pleine humanité l’émancipation des personnes, leur
accès à davantage de droits, la participation sociale de tous les citoyens,
l’égalité de ceux-ci dans la vie démocratique. Au nom de ces principes, chacun
doit être reconnu en tant que personne à part entière, avec des droits et des
pouvoirs. Finalement cela ressemble beaucoup à la devise républicaine
« liberté, égalité, fraternité », qui s’accommode mal des rapports
marchands.
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