Résister au changement ?
La résistance au changement est toujours, ou la plupart du temps, affectée d’une valeur négative. Résister au changement, cela va de soi dans certains discours, c’est indifféremment s’opposer au progrès, aux évolutions naturelles et « pragmatiques » de la société, c’est se satisfaire de la situation actuelle, pourtant insatisfaisante, c’est vouloir rester dans le passé, ne pas vouloir remettre en cause les acquis. Dans ce jugement concernant les positionnements sur les changements, il y a un implicite sinon un impensé : le changement est progrès. Ce qui est perçu par certains comme régression, retour en arrière, est perçu par d’autres comme une avancée, un état meilleur.
Ce discours de
changement/progrès est tenu de manière plus qu’incidente dans le secteur social
et médico-social, surtout par les porteurs des politiques publiques et les
managers : directions, cadres de siège et cadres de proximité. La lenteur
des évolutions des offres de service est attribuée à la résistance des
professionnels, comme si ceux-ci faisaient le choix de ne pas adhérer aux
progrès que permet l’évolution de l’offre. Dans une telle analyse lapidaire, rarement
est interrogé en quoi consiste et vers où va le changement auquel l’on devrait
adhérer, selon la plus grande des rationalités. Dans la critique de la
résistance au changement, il y a l’évidence que le changement est nécessaire, implicitement
dans une direction voulue d’en haut.
Dans l’injonction
de l’évolution de l’offre de service, il y aurait peut-être plusieurs
registres, qui mériteraient d’être élucidés. L’évolution de l’offre de service
s’attache aussi bien à l’action proprement dite auprès des usagers qu’à
« l’organisation administrative » des actions concernées. Du côté de
l’action des professionnels, il s’agit du travail concret, de l’accompagnement
et des manières de le concevoir, et en particulier de viser un « travail
bien fait ». Dans ce registre, il est des pratiques dont il faut
impérativement se départir (objet d’un changement par conséquent), en ce
qu’elles ne respectent pas les personnes concernées : manifestations de
maltraitance, hyper-protection, manque de soins, ignorance des libertés de
choix et d’autodétermination, maintien de la ségrégation…Sur ces changements, chez
les professionnels, il n’y a pas résistance (sauf peut-être à la marge) :
ils sont soucieux de « bien faire », d’investir le travail
relationnel, d’investir l’autonomie des personnes. Les préoccupations des
professionnels concernant les droits des personnes, leur liberté, leur
autodétermination, leur participation sociale, constituent des piliers de
l’exercice professionnel, et témoignent de l’adhésion à des changements.
Ces postures
favorables au changement se trouvent en écart avec d’autres injonctions au
changement, toujours au nom de l’évolution de l’offre de service. Celle-ci est
en effet une modification de la nature de ce que « produisent » les
professionnels : les accompagnements sont transformés en marchandises. Ils
deviennent des prestations mises sur le marché, en concurrence avec d’autres
offres. Comme toute mise sur le marché, les prestations se doivent d’être
contrôlées, validées en qualité, mesurées, évaluées selon des critères
observables et mesurables. Cette conception « institutionnelle » qui
réduit les interventions à une somme d’actes, s’oppose à une conception portée
par les professionnels, reposant sur la primauté de caractéristiques
relationnelles, dont une grande partie n’est pas quantifiable en termes
d’efficience.
C’est peut-être là qu’il y a des malentendus : la résistance des professionnels à la marchandisation (pour dire rapidement) est généralisée à une résistance de principe, contribuant à une dévalorisation de leurs compétences et de leurs postures professionnelles, là où ils ne résistent, et avec raison, qu’à une évolution qui se situe dans u registre marchand qui ne prend en compte que des critères « industriels », en ignorant ce qui fait légitimement leur cœur de métier, à savoir la relation interpersonnelle (celle-ci rentre difficilement dans le marché !)
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