"Mais lui quand même, il ne peut pas être inclus !"
La question de la possibilité d’inclusion d’élèves handicapés dans les établissements scolaires se heurte toujours aux limites posées par des professionnels, que ce soient ceux de l’éducation nationale ou ceux de l’éducation dite spécialisée. Nombre de professionnels vont ainsi répondre : « oui, mais avec le jeune que j’accompagne ce n’est pas possible », ou « oui, ça va avec beaucoup d’élèves handicapés, mais avec celui-là non ce n’est pas possible ». Autrement dit, pour une partie de la population concernée, celle vraisemblablement la plus proche de la population accueillie à l’école, cela est possible ; pour les autres non. C’est proprement la caractéristique des dispositifs d’intégration qui se sont mis en place avant que l’on ne s’inspire des principes de l’inclusion, ou plutôt de l’école inclusive. Diverses limites sont évoquées, dans l’école et chez les accompagnants : les écarts de niveaux, les troubles de comportement, la souffrance vécue… Toutes choses « vraies » et observables.
En prenant un peu
de recul, on s’aperçoit, d’une part qu’il y a toujours eu des limites, d’autre
part que les limites bougent. Les limites par le passé ont même été
radicales : il était impensable que des enfants handicapés soient à
l’école, leur place était dans des établissements spécifiques, loin des élèves
dits ordinaires. L’emplacement des limites, ou de la frontière, entre eux (qui
ne sont pas à l’école) et nous (qui le sommes) a évolué. Progressivement, les
élèves handicapés ont conquis quelques droits à être scolarisés avec des
congénères non handicapés, en maintenant toutefois une limite intangible. Cette
limite intangible a reculé jusqu’à aujourd’hui : « oui, mais pas
ceux-là ! ». On ne peut cependant que constater l’emplacement des
limites varie, non seulement en fonction des époques, mais aussi et surtout en
fonction des personnes qui s’expriment. Tel jeune, qui il y a quelques années
était dans l’impossibilité de fréquenter l’école ou une classe, est aujourd’hui
scolarisé avec accompagnement. Ce qui n’est pas possible dans une classe l’est
dans une autre. Et même, paradoxalement, là où « l’inclusion » avait
été pratiquée à un moment, les élèves rencontrent des difficultés, et les
professionnels évoquent la nécessité d’un « retour » vers des
dispositifs spécialisés.
Si un enfants
souffre dans son environnement scolaire, il ne s’agit pas de lui attribuer
exclusivement la responsabilité de cette souffrance ; l’environnement en
est aussi responsable et il convient d’examiner en quoi il peut évoluer. Car
les réponses ont tendance à s’installer dans les ornières formées par
l’histoire : le monde scolaire ordinaire » ne convient pas à de tels
élèves, qui relèvent de dispositifs spécialisés. Ne serait-il pas plus
opportun, même si les environnements continuent à être des obstacles, de
réfléchir aux accompagnements nécessaires des élèves concernés, de l’aide à
leur apporter sur le plan personnel, des aménagements à apporter à la classe
(matériel, chez les autres élèves, chez les enseignants, dans les modalités
pédagogiques…)
La question des
limites se pose toutefois, mais dans une autre configuration de questionnement.
Si la politique inclusive consiste à placer les élèves handicapés dans l’école
ordinaire sans étayer leur prise de place dans l’école, on assistera à une
véritable catastrophe. Comme le « secteur psychiatrique » s’est
désinstitutionnalisé et sectorisé, mais avec la soustraction des moyens,
interdisant l’accompagnement de secteur, et a laissé à l’abandon nombre de
malades. Si la transition inclusive de l’école ne s’accompagne pas de moyens et
de ressources substantielles permettant un accompagnement de qualité des élèves
concernés (compensations, accessibilité), la question des limites pour les
situations les plus problématiques continuera de se poser. La suppression brutale
et sans précautions de certaines limites, dans un environnement inchangé,
enlèverait la protection nécessaire à certains, et deviendrait un facteur de
risque. Elle générerait le risque de délaissement, d’assignation à l’isolement
et à la marginalisation. Une telle situation, issue d’une idéologie basée sur
le principe de l’autonomie supposée de tous les sujets, discrimine en réalité,
et pénalise ceux qui sont le plus en difficultés.
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