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mardi 20 mai 2025

l'autonomie, gage du mérite

L'autonomie, gage du mérite

Dans « l’école d’avant », ce qui faisait ségrégation dans les parcours scolaires (organisation scolaire, contenus pédagogiques, modalités d’enseignement…), c’était la réussite ou l’échec dans ces parcours. Ceux-ci étaient déterminés à l’aune de l’accumulation de connaissances et leur restitution dans les règles de l’art, et plus généralement par ce que Pierre Bourdieu a qualifié de capital culturel. Le mérite consistait à réussir le parcours lorsque l’on ne disposait pas de ce capital culturel par positionnement social. La reproduction scolaire fonctionnait à plein, agrémentée dans ses marges par les résultats des plus méritants. Aujourd’hui, ce ne sont plus (ou moins) l’accumulation des connaissances et la culture, ni leur restitution dans les formes attendues qui comptent et qui ont de la valeur. Avec les évolutions politiques et sociétales, c’est désormais l’individu dans sa globalité qui compte, avec des références qui se sont imposées pour tous, à l’école et dans la société : autonomie, responsabilité, initiative, créativité, expression… L’école restant une machine de sélection et de tri, ainsi que de répartition sociale, on peut imaginer que ce sont de nouveaux critères qui vont permettre de faire ségrégation. Les savoir-être constituent peut-être aujourd’hui les critères du mérite scolaire.

C’est ainsi que peut se faire une sélection : le mérite appartient aux élèves qui savent ou peuvent être autonomes, et qui en ont les moyens, abandonnant les autres à leur sort de non méritants. Dans ce contexte, l’autonomie n’est pas seulement un objectif de développement humain, mais une condition de réussite à l’école. Elle va être le critère de la distinction entre ceux qui méritent de réussir et ceux qui le méritent moins. Les valeurs liées à l’autonomie, promues comme étant les « bonnes » dans la société, sont aussi celles qui vont être promues et hiérarchisées à l’école. Et pour les enfants qui n’auraient pas d’emblée les estampilles de cette autonomie , tant pis ! Ce n’est pas facile d’être autonome quand on vient à l’école à 5 ans en étant heureux de fuir la violence familiale ; ou quand on y vient pour être au chaud et dormir après une nuit à la rue ou dans une voiture ; ou quand des caractéristiques physiques ou mentales constituent des obstacles à être indépendant et autonome. Quand on est en situation de handicap, et que le fonctionnement scolaire met des barrières aux apprentissages, dont la condition d’être autonome, il y a production d’un sur-handicap. Quand on a besoin d’étayage et de protection, l’autonomie, telle que pensée dans le mode individuel ultra-libéral devient un critère d’exclusion. La reproduction sociale à l’école, qui s’effectuait sur des critères de capital culturel, se fait aujourd’hui sur des critères de capacités d’autonomie, avec toujours les mêmes discriminations, les mêmes exclusions.

De la même manière que « l’activation » des individus constitue une obligation morale et politique et une condition pour obtenir des aides pour les personnes « vulnérables » (chômeurs et sans emploi, sans domicile, jeunes, pauvres…), afin ne pas être considérés comme « assistés », l’élève va-t-il devoir faire la preuve de son activation, en particulier pour demander et obtenir des aides ?  Dans une idéologie où l’autonomie constitue l’un des critères pertinents pour être « une personne accomplie », celui qui n’en fait pas preuve, celui qui ne manifeste pas son activation, aura-t-il une place reconnue et les aides nécessaires. Alors même que certains élèves handicapés auraient besoin d’accompagnement, d’aides ou d’étayage plus importants que la moyenne des élèves pour réaliser les activités scolaires, l’exigence et l’injonction autonomie n’implique-t-elle pas des restrictions sur leurs droits à l’inclusion dans l’école de tous, et une justification à des orientations vers des établissements spécialisés adaptés à leur moindre autonomie ?

L’exclusion des enfants handicapés de l’école ordinaire s’argumentait par le passé sur des critères de niveaux d’apprentissages et/ou de caractéristiques comportementales. Verra-t-on désormais un nouveau critère ou argument : ne pourront être inclus que les élèves présentant un degré suffisant d’autonomie ?

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