L'autonomie, gage du mérite
Dans « l’école d’avant », ce qui faisait ségrégation dans les parcours scolaires (organisation scolaire, contenus pédagogiques, modalités d’enseignement…), c’était la réussite ou l’échec dans ces parcours. Ceux-ci étaient déterminés à l’aune de l’accumulation de connaissances et leur restitution dans les règles de l’art, et plus généralement par ce que Pierre Bourdieu a qualifié de capital culturel. Le mérite consistait à réussir le parcours lorsque l’on ne disposait pas de ce capital culturel par positionnement social. La reproduction scolaire fonctionnait à plein, agrémentée dans ses marges par les résultats des plus méritants. Aujourd’hui, ce ne sont plus (ou moins) l’accumulation des connaissances et la culture, ni leur restitution dans les formes attendues qui comptent et qui ont de la valeur. Avec les évolutions politiques et sociétales, c’est désormais l’individu dans sa globalité qui compte, avec des références qui se sont imposées pour tous, à l’école et dans la société : autonomie, responsabilité, initiative, créativité, expression… L’école restant une machine de sélection et de tri, ainsi que de répartition sociale, on peut imaginer que ce sont de nouveaux critères qui vont permettre de faire ségrégation. Les savoir-être constituent peut-être aujourd’hui les critères du mérite scolaire.
C’est ainsi que
peut se faire une sélection : le mérite appartient aux élèves qui savent
ou peuvent être autonomes, et qui en ont les moyens, abandonnant les autres à
leur sort de non méritants. Dans ce contexte, l’autonomie n’est pas seulement
un objectif de développement humain, mais une condition de réussite à l’école.
Elle va être le critère de la distinction entre ceux qui méritent de réussir et
ceux qui le méritent moins. Les valeurs liées à l’autonomie, promues comme
étant les « bonnes » dans la société, sont aussi celles qui vont être
promues et hiérarchisées à l’école. Et pour les enfants qui n’auraient pas
d’emblée les estampilles de cette autonomie , tant pis ! Ce n’est pas
facile d’être autonome quand on vient à l’école à 5 ans en étant heureux de
fuir la violence familiale ; ou quand on y vient pour être au chaud et
dormir après une nuit à la rue ou dans une voiture ; ou quand des
caractéristiques physiques ou mentales constituent des obstacles à être
indépendant et autonome. Quand on est en situation de handicap, et que le
fonctionnement scolaire met des barrières aux apprentissages, dont la condition
d’être autonome, il y a production d’un sur-handicap. Quand on a besoin
d’étayage et de protection, l’autonomie, telle que pensée dans le mode
individuel ultra-libéral devient un critère d’exclusion. La reproduction
sociale à l’école, qui s’effectuait sur des critères de capital culturel, se
fait aujourd’hui sur des critères de capacités d’autonomie, avec toujours les
mêmes discriminations, les mêmes exclusions.
De la même manière
que « l’activation » des individus constitue une obligation morale et
politique et une condition pour obtenir des aides pour les personnes
« vulnérables » (chômeurs et sans emploi, sans domicile, jeunes,
pauvres…), afin ne pas être considérés comme « assistés », l’élève
va-t-il devoir faire la preuve de son activation, en particulier pour demander
et obtenir des aides ? Dans une idéologie
où l’autonomie constitue l’un des critères pertinents pour être « une
personne accomplie », celui qui n’en fait pas preuve, celui qui ne
manifeste pas son activation, aura-t-il une place reconnue et les aides
nécessaires. Alors même que certains élèves handicapés auraient besoin
d’accompagnement, d’aides ou d’étayage plus importants que la moyenne des
élèves pour réaliser les activités scolaires, l’exigence et l’injonction
autonomie n’implique-t-elle pas des restrictions sur leurs droits à l’inclusion
dans l’école de tous, et une justification à des orientations vers des
établissements spécialisés adaptés à leur moindre autonomie ?
L’exclusion des enfants handicapés de l’école ordinaire
s’argumentait par le passé sur des critères de niveaux d’apprentissages et/ou
de caractéristiques comportementales. Verra-t-on désormais un nouveau critère
ou argument : ne pourront être inclus que les élèves présentant un degré
suffisant d’autonomie ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire