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mardi 24 juin 2025

ESAT : à combattre ou à défendre ?

ESAT : à combattre ou à défendre ?

La question est sujette à des polémiques consistantes et nourries. Pour nombre de personnes et d’acteurs (en premier lieu les personnes concernées), ils sont des éléments nécessaires au travail (ou à l’occupation) des personnes handicapées. Pour nombre d’autres (y compris des personnes concernées), et du point de vue des principes de droit, ils sont des institutions à supprimer. Les questions se posent donc avec acuité dans la perspective d’une évolution plus ou moins radicale des offres de service et de la désinstitutionnalisation pour faire valoir les droits des personnes en situation de handicap.

Les ESAT sont indiscutablement des lieux de ségrégation et de discrimination. Les ESAT sont faits pour une catégorie spécifique de personnes, celles qui ont un statut et une reconnaissance de personne handicapée. Il s’agit de lieux à part, où ne se retrouvent que des personnes de la même catégorie de population, qui fonctionnent avec cette catégorie de personnes, encadrées par des personnes n’appartenant pas à cette catégorie. Il y a certes plusieurs modalités de fonctionnement, qui se sont mises en place plus récemment. Mais, même lorsqu’ils sont « hors les murs », que le travail s’effectue dans le milieu ordinaire, que des personnes concernées sont missionnées dans des entreprises dites ordinaires, que certaines relations de travail permettent de développer des relations avec le monde ordinaire, cela reste un ESAT, éloigné justement de ce monde ordinaire. Certes plus enviable éthiquement qu’un ESAT cloisonné et fermé, mais un ESAT quand même, symbole et réalité de discrimination et de ségrégation sociale.

Les ESAT sont aussi bien évidemment un lieu d’exploitation des travailleurs concernés. L’ouvrage du journalise Thibault Petit (Handicap à vendre, Ed Les Arènes, 2022) a bien mis en évidence comment les injonctions politiques et économiques autorisent des dérives dans ce monde particulier du travail : tâches ingrates et répétitives, cadences imposées et difficile à tenir, rémunérations trop faibles, absence de nombreux droits, voire même harcèlement.

En raison de ces deux caractéristiques, ségrégation et exploitation, la réponse serait, sur le plan des principes, celle de combattre l’existence des ESAT, et de les supprimer. Mais la question se pose aussi d’une autre manière : s’il n’y avait pas ces lieux spécifiques, que se passerait-il ? Ces personnes pourraient-elles travailler dans le milieu ordinaire ? C’est là que la bât blesse. Car le milieu ordinaire de travail est aussi un lieu de ségrégation, de discrimination et d’exploitation. Lieu de discrimination : on le voit facilement dans les statistiques d’embauche relativement par exemple concernant des populations dites de la « diversité », ou les femmes. Et lieu d’exploitation également, attestable aujourd’hui dans les maladies professionnelles, dans les accidents du travail, dans les troubles psycho-sociaux et les burn-out, dans le management parfois toxique et souvent aliénant, dans la perte de sens au travail, dans la dégradation des conditions d’emploi, du temps de travail, de la durée de travail, dans le recul de l’âge de départ à la retraite, dans la restriction de certains droits, etc.

Alors oui, face à cette violence du travail ordinaire, l’ESAT constitue parfois une protection. Protection tout d’abord contre le risque de ne pas avoir un « emploi » en raison de la discrimination opérée par des employeurs éventuels (pas assez de performance, pas assez d’adaptation…), et de se retrouver sans même une « occupation sociale ». Protection ensuite contre la violence du travail, ou des personnes handicapées ne seraient pas à même de subir les conditions de travail exigées (ce ne sont certes pas les seules !). Pour penser inclusion des personnes handicapées dans le monde ordinaire du travail, il faudrait que l’organisation et les finalités de celui-ci changent. Les choix politiques faits actuellement ne vont pas dans ce sens. Au contraire, ils accentuent et contraignent les conditions d’une inclusion de ces travailleurs.

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