Idées reçues sur le handicap
Dir : E. DOUAT, H. DUPONT, S. VAQUERO (Le Cavalier Bleu, 2024)
On croit toujours tout savoir sur le handicap. Ou ne pas en
savoir assez. Il en est ainsi parfois de livres qui viennent confirmer ce que
l’on sait, renforcer des idées peu assurées, mais aussi interroger sur
certaines de nos certitudes et nos croyances, bousculer ce que l’on croyait
savoir et ce dont on était assuré. Tel est le cas de cet ouvrage, délibérément,
puisqu’il interroge sur des « idées reçues ». Et des idées reçues,
ici spécifiquement dans le domaine du handicap, il y en a de nombreuses,
partagées dans le grand public, mais aussi paradoxalement parmi les
« spécialistes ». Les idées reçues ce sont ces choses qui se disent,
se pensent, se répètent, se diffusent, sans que l’on y réfléchisse vraiment, et
sans que l’on sache si elles sont « vraies ». Elles sont des
évidences qui éliminent toute idée contraire, elles sont en définitive des
instruments d’ignorance.
Les plus de vingt contributeurs ont chacun·e pris à bras le
corps une idée reçue, « vérité » pour de nombreuses personnes, pour
la décortiquer, la déconstruire. Non pas que l’idée reçue en question soit
fausse intégralement, non pas pour en démonter la fausseté, mais pour la
comprendre et bien sûr la critiquer, à la lumière des évolutions conceptuelles,
sociales et politiques relatives à la notion de handicap. Les contributions
viennent en majorité de sociologues, et c’est à la lumière d’approches
sociologiques que sont examinées ces idées reçues, dans une approche sociale et
ecosystémique. Les évidences des idées reçues sont déconstruites au prisme d’interrogations
étayées concernant les effets de ces idées reçues sur les rapports avec les
personnes concernées. Les difficultés rencontrées par les personnes handicapées
« ne sont jamais réductibles à des propriétés individuelles, une
situation ou les contraintes d’un milieu. Ce qu’on appelle le handicap est une
réalité relationnelle qui ne peut être comprise en dehors des rapports sociaux
de genre, de classe ou d’âge et des configurations institutionnelles
caractérisées par tout un ensemble d’attentes et de normes auxquelles tout un
chacun doit se conformer. » (p.159)
Le livre est divisé en trois grandes parties structurant la
gamme des idées reçues : le handicap est-il une réalité médicale ou une
construction sociale ? Est-il une déficience ? et les politiques
inclusives face au handicap.
Les différents chapitres reprennes des idées reçues banales,
des propos entendus maintes et maintes fois comme : « il y a toujours
eu des handicapés », , « il y a de plus en plus de personnes
handicapées », « le handicap ça se voit », ou « le handicap
peut toucher tout le monde ». Ou cette question : « les troubles
dys sont une nouvelle forme de handicap ». A cette question, M WOOLWEN
répond : « La dyslexie renvoie en fait de manière bien plus
fondamentale aux normes qui sont au cœur de l’institution scolaire. En effet,
la dyslexie constitue une « singularité institutionnelle
problématique » en tant que trouble spécifique de la lecture, précisément
parce qu’elle porte sur la culture écrite et que cette dernière structure les
attentes de l’école. La dyslexie est donc bien un handicap propre à
l’institution scolaire, ce qui vaut aussi pour les autres troubles des
apprentissages. » (p.32 et 33)
Dans la deuxième partie, on trouve une analyse de ces
différents propos : « Les enfants de pauvres ont un handicap
linguistique », « L’expression artistique, c’est mieux adapté pour
les handicapés », « Toute personne handicapées souhaite retrouver son
corps valide », « les adultes handicapés mentaux ne savent pas
réfléchir au travail », « le handicap est un poids pour les
familles », « les handicapés n’ont pas de sexualité », « le
sport permet de surmonter son handicap », « les personnes handicapées
ne veulent pas s’engager en politique ». Parmi ces évidences, celle du
corps valide. Mais répond M WINANCE « Pour le sens commun, une personne
paraplégique ne peut que souhaiter remarcher, une personne sourde, entendre, ou
encore une personne atteinte d’une déficience cognitive être normale. Ces
évidences renvoient toutes à l’idée qu’être atteint de déficiences, c’est être
anormal, et qu’inversement, pour être normal il faut un corps valide. Elles
renvoient à l’idée qu’avoir un corps valide est désirable et devrait être
désiré et recherché par toute personne handicapée. » (p.73) Le sport
véhicule également des idées toutes faites : « En somme, en
véhiculant des attentes inaccessibles par la majorité des individus, cette
valorisation de la compétition dans les représentations sociales du
« sport-handicap » renforce l’opposition entre capable et incapable,
valide et invalide et accentue davantage les divisions entre les personnes
désignées comme handicapées. » (R GUYOT, p.107)
Quant aux politiques inclusives « il est impossible
d’inclure les élèves handicapés à l’école s’ils ne sont pas suffisamment
autonomes » par exemple, une telle idée reçue mérite analyse qui va
au-delà de cette simple intuition ou pseudo-observation. « La norme
contemporaine d’autonomie contribue ainsi à tracer une ligne de démarcation
entre les élèves handicapés en capacité de répondre aux attentes scolaires en
termes de responsabilisation individuelle et ceux qui n’y parviennent pas… Le
« manque d’autonomie » devient un critère pouvant justifier une
orientation vers des dispositifs séparés de l’école ordinaire. » (H DURIER,
p.136)
Interroger les idées reçues conduit à d’autres
positionnements, comme celui exprimé ici en vue d’un changement de
paradigme : « C’est la persistance de cette expérience d’exclusion
qui a conduit certains chercheurs à critiquer le modèle social du handicap et à
le faire évoluer vers les approches validistes : des approches qui
dénoncent et analysent l’incapacité de nos sociétés à se transformer en la
référant à des systèmes normatifs implicites… L’analyse proposée par le modèle
social … est insuffisante pour comprendre la manière dont le handicap, dans
notre société, est produit comme une différence intrinsèquement négative et
systématiquement dévalorisée, et, inversement, la manière dont la validité est
définie comme une différence valorisée. » (M WINANCE, p.77)
Une interrogation toutefois : c’est l’approche écosystémique
qui est mise en avant. Et pourtant dans la bibliographie, il y a une absence de
marque. En effet, les contributions de Patrick Fougeyrollas avec le MDH-PPH
(Modèle de développement humain – Processus de production du handicap) ne sont
pas citées. Cette classification est quand même une des approches écosystémique
des plus abouties, avec l’interaction entre les facteurs personnels et les
facteurs environnementaux dans la
réalisation d’habitudes de vie, et produisant des situations de participation
sociale ou des situations de handicap. Et c’est une approche qui interroge fondamentalement
les idées reçues sur le handicap. Je me permets donc de donner les deux
références essentielles :
·
Fougeyrollas P. : La funambule, le fil et
la toile, Presses de l’Université Laval, Québec, 2010
·
Classification internationale Modèle de
développement humain – Processus de production du handicap, RIPPH, Québec, 2018
Présentation de l’ouvrage par l’éditeur
Régulièrement au centre de débats politiques et
médiatiques, le handicap est encore largement réduit à un problème médical.
Pourtant, il s’agit bien d’une construction sociale indissociable de
configurations institutionnelles. Aussi peut-on douter de l’universalité de sa
définition et de ses modes de reconnaissance. Comment les politiques dites
d’inclusion parviennent-elles à lutter contre les inégalités ?
Permettent-elles aux personnes en situation de handicap d’accéder à une
citoyenneté pleine et entière ? Ou au contraire contribuent-elles à
perpétuer l’injonction à l’autonomie et à la performance individuelle ?
Ce sont quelques-unes des questions qu’analysent finement
les chercheurs réunis dans cet ouvrage pour donner à voir le handicap dans
toute sa variété et sa complexité.
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