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vendredi 25 avril 2025

Lecture : Idées reçues sur le handicap

Idées reçues sur le handicap
Dir : E. DOUAT, H. DUPONT, S. VAQUERO (Le Cavalier Bleu, 2024)

On croit toujours tout savoir sur le handicap. Ou ne pas en savoir assez. Il en est ainsi parfois de livres qui viennent confirmer ce que l’on sait, renforcer des idées peu assurées, mais aussi interroger sur certaines de nos certitudes et nos croyances, bousculer ce que l’on croyait savoir et ce dont on était assuré. Tel est le cas de cet ouvrage, délibérément, puisqu’il interroge sur des « idées reçues ». Et des idées reçues, ici spécifiquement dans le domaine du handicap, il y en a de nombreuses, partagées dans le grand public, mais aussi paradoxalement parmi les « spécialistes ». Les idées reçues ce sont ces choses qui se disent, se pensent, se répètent, se diffusent, sans que l’on y réfléchisse vraiment, et sans que l’on sache si elles sont « vraies ». Elles sont des évidences qui éliminent toute idée contraire, elles sont en définitive des instruments d’ignorance.

Les plus de vingt contributeurs ont chacun·e pris à bras le corps une idée reçue, « vérité » pour de nombreuses personnes, pour la décortiquer, la déconstruire. Non pas que l’idée reçue en question soit fausse intégralement, non pas pour en démonter la fausseté, mais pour la comprendre et bien sûr la critiquer, à la lumière des évolutions conceptuelles, sociales et politiques relatives à la notion de handicap. Les contributions viennent en majorité de sociologues, et c’est à la lumière d’approches sociologiques que sont examinées ces idées reçues, dans une approche sociale et ecosystémique. Les évidences des idées reçues sont déconstruites au prisme d’interrogations étayées concernant les effets de ces idées reçues sur les rapports avec les personnes concernées. Les difficultés rencontrées par les personnes handicapées « ne sont jamais réductibles à des propriétés individuelles, une situation ou les contraintes d’un milieu. Ce qu’on appelle le handicap est une réalité relationnelle qui ne peut être comprise en dehors des rapports sociaux de genre, de classe ou d’âge et des configurations institutionnelles caractérisées par tout un ensemble d’attentes et de normes auxquelles tout un chacun doit se conformer. » (p.159)

Le livre est divisé en trois grandes parties structurant la gamme des idées reçues : le handicap est-il une réalité médicale ou une construction sociale ? Est-il une déficience ? et les politiques inclusives face au handicap.

Les différents chapitres reprennes des idées reçues banales, des propos entendus maintes et maintes fois comme : « il y a toujours eu des handicapés », , « il y a de plus en plus de personnes handicapées », « le handicap ça se voit », ou « le handicap peut toucher tout le monde ». Ou cette question : « les troubles dys sont une nouvelle forme de handicap ». A cette question, M WOOLWEN répond : « La dyslexie renvoie en fait de manière bien plus fondamentale aux normes qui sont au cœur de l’institution scolaire. En effet, la dyslexie constitue une « singularité institutionnelle problématique » en tant que trouble spécifique de la lecture, précisément parce qu’elle porte sur la culture écrite et que cette dernière structure les attentes de l’école. La dyslexie est donc bien un handicap propre à l’institution scolaire, ce qui vaut aussi pour les autres troubles des apprentissages. » (p.32 et 33)

Dans la deuxième partie, on trouve une analyse de ces différents propos : « Les enfants de pauvres ont un handicap linguistique », « L’expression artistique, c’est mieux adapté pour les handicapés », « Toute personne handicapées souhaite retrouver son corps valide », « les adultes handicapés mentaux ne savent pas réfléchir au travail », « le handicap est un poids pour les familles », « les handicapés n’ont pas de sexualité », « le sport permet de surmonter son handicap », « les personnes handicapées ne veulent pas s’engager en politique ». Parmi ces évidences, celle du corps valide. Mais répond M WINANCE « Pour le sens commun, une personne paraplégique ne peut que souhaiter remarcher, une personne sourde, entendre, ou encore une personne atteinte d’une déficience cognitive être normale. Ces évidences renvoient toutes à l’idée qu’être atteint de déficiences, c’est être anormal, et qu’inversement, pour être normal il faut un corps valide. Elles renvoient à l’idée qu’avoir un corps valide est désirable et devrait être désiré et recherché par toute personne handicapée. » (p.73) Le sport véhicule également des idées toutes faites : « En somme, en véhiculant des attentes inaccessibles par la majorité des individus, cette valorisation de la compétition dans les représentations sociales du « sport-handicap » renforce l’opposition entre capable et incapable, valide et invalide et accentue davantage les divisions entre les personnes désignées comme handicapées. » (R GUYOT, p.107)

Quant aux politiques inclusives « il est impossible d’inclure les élèves handicapés à l’école s’ils ne sont pas suffisamment autonomes » par exemple, une telle idée reçue mérite analyse qui va au-delà de cette simple intuition ou pseudo-observation. « La norme contemporaine d’autonomie contribue ainsi à tracer une ligne de démarcation entre les élèves handicapés en capacité de répondre aux attentes scolaires en termes de responsabilisation individuelle et ceux qui n’y parviennent pas… Le « manque d’autonomie » devient un critère pouvant justifier une orientation vers des dispositifs séparés de l’école ordinaire. » (H DURIER, p.136)

Interroger les idées reçues conduit à d’autres positionnements, comme celui exprimé ici en vue d’un changement de paradigme : « C’est la persistance de cette expérience d’exclusion qui a conduit certains chercheurs à critiquer le modèle social du handicap et à le faire évoluer vers les approches validistes : des approches qui dénoncent et analysent l’incapacité de nos sociétés à se transformer en la référant à des systèmes normatifs implicites… L’analyse proposée par le modèle social … est insuffisante pour comprendre la manière dont le handicap, dans notre société, est produit comme une différence intrinsèquement négative et systématiquement dévalorisée, et, inversement, la manière dont la validité est définie comme une différence valorisée. » (M WINANCE, p.77)

Une interrogation toutefois : c’est l’approche écosystémique qui est mise en avant. Et pourtant dans la bibliographie, il y a une absence de marque. En effet, les contributions de Patrick Fougeyrollas avec le MDH-PPH (Modèle de développement humain – Processus de production du handicap) ne sont pas citées. Cette classification est quand même une des approches écosystémique des plus abouties, avec l’interaction entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux  dans la réalisation d’habitudes de vie, et produisant des situations de participation sociale ou des situations de handicap. Et c’est une approche qui interroge fondamentalement les idées reçues sur le handicap. Je me permets donc de donner les deux références essentielles :

·        Fougeyrollas P. : La funambule, le fil et la toile, Presses de l’Université Laval, Québec, 2010

·        Classification internationale Modèle de développement humain – Processus de production du handicap, RIPPH, Québec, 2018

Présentation de l’ouvrage par l’éditeur

Régulièrement au centre de débats politiques et médiatiques, le handicap est encore largement réduit à un problème médical. Pourtant, il s’agit bien d’une construction sociale indissociable de configurations institutionnelles. Aussi peut-on douter de l’universalité de sa définition et de ses modes de reconnaissance. Comment les politiques dites d’inclusion parviennent-elles à lutter contre les inégalités ? Permettent-elles aux personnes en situation de handicap d’accéder à une citoyenneté pleine et entière ? Ou au contraire contribuent-elles à perpétuer l’injonction à l’autonomie et à la performance individuelle ?

Ce sont quelques-unes des questions qu’analysent finement les chercheurs réunis dans cet ouvrage pour donner à voir le handicap dans toute sa variété et sa complexité.

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