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Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mercredi 2 mai 2018

lecture - sociologie du monde des sourds

Sociologie du monde des sourds

Diane BEDOIN, La découverte, 2018





Cet ouvrage, relativement court (128 pages), réussit le pari de présenter un tableau assez complet de la surdité, ou plutôt de la situation vécue par les personnes sourdes. Et ceci dans une approche qui justement ne considère par ces personnes en les réduisant à leur déficience auditive, mais en envisageant la problématique de manière écosystémique, le monde des sourds et les sourds dans le monde.

Sans nier les aspects de l’altération de la fonction auditive et ses conséquences sur le rapport au monde des personnes sourdes, c’est avant tout sur le fait social que constitue la surdité que s’attache l’auteure. La surdité est une singularité anatomique certes, mais socialement elle n’est pas un problème individuel, elle est, comme le disait déjà le sociologue Bernard Mottez, un rapport.

La plupart du temps, dans les ouvrages sur la surdité, c’est du point du vue de la déficience qu’est traité le problème, selon une approche médico-sociale : la déficience auditive reste une maladie. Le schéma explicatif et heuristique est bien souvent celui-ci : les risques et les causes ; le diagnostic ; les caractéristiques de la déficience auditive (de réception, de transmission, le degré de surdité) et les mesures ; les traitements médicaux et prothétiques ; les conséquences sur le développement (affectif, langagier, psychologique, …) ; le handicap social conséquent ; la rééducation (orthophonie) et les traitements sociaux (choix linguistiques, scolarisation). Rarement sont pris en compte, sauf chez des auteurs engagés (Mottez, Delaporte, Cuxac, Bouvet, Meynard, Kerbouch et quelques autres), les faits sociaux de la surdité, avec la vision écosystémique de la construction singulière du monde et du rapport au monde des personnes sourdes, avec la langue des signes et la culture sourde.

C’est justement cette dernière perspective qui est développée par l’auteure, qui n’ignore pas pour autant la factualité de la déficience auditive et ses différents aspects. Et donc, au lieu d’avoir une vision réductrice et déficitaire des personnes sourdes, on a ici une vision dynamique et écosystémique de personnes, ayant une singularité, dans le monde social dans lequel ils vivent et dans lequel on vit.

L’auteure restitue clairement et synthétiquement l’émergence récente de cette approche du monde des sourds et l’intérêt de la problématique dans le monde de la recherche. Cette approche du monde des sourds comme fait social est récente, liée à la constitution du monde des sourds s’instituant comme acteur collectif dans les années 1970, en se forgeant, la plupart du temps dans l’adversité et la militance, une identité linguistique et culturelle spécifique, en revendiquant les droits qui leur étaient refusés au nom de la conformité à la norme.

Parmi les facteurs de la construction du monde sourd comme « communauté », les étapes de la reconnaissance de la langue des signes (dont la loi de 2005 constitue une étape importante), la visibilité des sourds dans la société (en particulier à travers l’accessibilité par l’interprétariat en langue des signes) sont des éléments importants de cette sociologie du monde des sourds.

C’est pour cette raison que la lecture de cet ouvrage est instructive : pour ceux qui s’intéressent ou sont concernés par le monde des sourds (professionnellement ou par intérêt personnel), parmi lesquels il y a encore de nombreuses personnes qui réduisent la surdité à un problème de déficience auditive dont il faut réduire les conséquences ; et pour ceux qui s’intéressent à la manière dont on peut appréhender une population minoritaire dans la société.

Cette approche va de pair avec une nouvelle manière de concevoir la place des personnes handicapées dans la société, que l’on trouve définie par exemple dans la convention internationale (ONU) sur les droits des personnes handicapées : il ne s’agit plus de considérer les personnes handicapées du point de vue de leur déficience et de leurs incapacités, mais il s’agit de les considérer comme sujets de droits et ayant les droits de tout un chacun.


C’est là que l’on se rend compte de la difficulté de mettre en œuvre ces droits dans l’éducation des jeunes sourds. En dépit de ce que l’on peut savoir aujourd’hui sur la sociologie du monde des sourds, l’éducation bilingue est encore quelque peu stigmatisée, autant par la priorisation institutionnelle et idéologique de la réponse soignante (diagnostic précoce, implantation cochléaire, rééducation orthophonique) que par l’absence de dispositifs pouvant répondre aux besoins et aux droits des enfants sourds, malgré quelques initiatives tout à fait bienvenues de l’éducation nationale ( programme de langue des signes, pôle d’enseignement pour les jeunes sourds).

C’est dans ce cadre que l’ouvrage de Diane Bedoin peut contribuer à modifier quelques représentations archaïques de la surdité comme maladie.

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