biographie

Ma photo
Président du Réseau Français sur le Processus de Production du Handicap (RFPPH) Formateur accrédité sur le modèle de développement humain-processus de production du handicap (MDH-PPH), et dans les domaine des droits et des politiques inclusives / administrateur organismes de formation et secteur médico-social / ancien cadre dans le secteur médico-social et formateur

mardi 3 janvier 2017

Les effets pervers d'un regard institutionnel

Les effets pervers d'un regard institutionnel

Les institutions du secteur médico-social se laissent souvent aller à avoir un regard (et un discours) à la fois totalitaire et dévalorisant envers les « usagers ». Lors d’une réunion, peut-être de synthèse, en tout cas en présence d’experts, il s’agissait d’examiner la situation d’Ornella, dont l’attitude et le comportement interrogeaient beaucoup, voire mettaient à mal, les professionnels des équipes. Après avoir évoqué plusieurs questions ayant trait à son comportement en classe, au collège, à l’internat, en famille (pour ce qu’on en connaissait), on en est arrivé à sa corpulence physique. Une professionnelle prit la parole : « Là maintenant, ça se dégrade, elle mange n’importe comment, elle est devenue quasiment obèse, et puis il faut voir comment elle se tient, elle est la plupart du temps avachie à sa table ou dans la salle de loisirs ! » Cette professionnelle se trouvait face à moi, de l’autre côté de la table. A côté d’elle, une de ses collègues, très corpulente, « avachie », peu soucieuse de son apparence physique. Les propos tenus sur Ornella auraient pu la qualifier ! J’ai vu cette professionnelle se crisper, blêmir, puis laisser passer.


Sur un temps de travail, peut-on penser qu’une professionnelle tienne un tel discours sur un autre professionnel ? Non vraisemblablement ! Mais elle a pu le tenir sur un jeune usager. Le plus étonnant est la dissociation qu’elle fait entre le discours qu’elle peut tenir sur un usager et le discours qu’elle ne peut s’autoriser à tenir sur une de ses collègues, cette dernière pratique étant référée au respect dû à la personne. Autrement dit le respect dû à une personne collègue n’est pas dû à une personne usager.

Le fait de tout connaitre d’un usager, de la classe à la famille en passant par l’internat, et la possibilité d’échanger sur ce « tout », rend l’usager transparent, et on s’autorise à tout dire de lui, parce qu’on le regarde de partout, qu’on le scrute en permanence. Mais à vouloir tout rendre transparent, on en arrive à perdre le respect dû à l’usager.

Dans le même ordre d’idées, j’ai longtemps entendu la préoccupation des professionnels pour inciter les jeunes à s’exprimer sur leur vécu, à mettre des mots sur leurs sentiments et leurs émotions, cette mise en mots étant considérée comme une compétence nécessaire à leur développement. Dans les échanges autour des situations des jeunes, dans les objectifs des Projets Personnalisés d’Accompagnement, dans les « synthèses » entre experts, en particulier thérapeutiques, cette nécessité fait loi. Alors que dans le même temps, la plupart de ces professionnels se donnent comme règle de ne pas laisser exprimer leurs émotions ou leurs sentiments en milieu de travail. J’ai longtemps travaillé avec une professionnelle extrêmement pudique à ce niveau, et sans savoir jamais ce qu’elle ressentait par rapport aux situations professionnelles. Je ne sais si c’était par choix ou par « incapacité ». Mais il ne me serait pas venu à l’idée d’exiger cela d’elle, ou de lui fixer comme objectif de compétence professionnelle, d’exprimer ses sentiments ou ses ressentis.


La volonté de transparence par rapport aux usagers, avec ces effets collatéraux, n’est pas seulement l’illusion décrite par P Ben Sousan et R. Gori (Peut-on vraiment se passer du secret, l’illusion de la transparence, érès, 2013), mai elle est aussi, et plus gravement, une mise en danger du respect dû aux personnes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire